VERS UNE ARMÉE INCLUSIVE : L’INTÉGRATION DES FEMMES DANS LES FORCES ARMÉES EUROPÉENNES

VERS UNE ARMÉE INCLUSIVE : L’INTÉGRATION DES FEMMES DANS LES FORCES ARMÉES EUROPÉENNES

Ce quatrième article conclut notre série consacrée à l’état de la conscription au sein de l’Union européenne. Dans le précédent article, nous avons exploré les arguments souvent invoqués contre la conscription nationale, en mettant l’accent sur son adéquation aux réalités contemporaines.

Cet article examine la place des femmes dans les forces armées, dans le contexte plus large des réformes sociétales visant à promouvoir l’égalité des genres. Malgré une intégration accélérée des femmes dans l’armée, elles demeurent minoritaires et font encore face à divers obstacles.

Une tradition de surreprésentation masculine révolutionnée par les pays scandinaves

Les pays scandinaves ont joué un rôle pionnier dans l’intégration des femmes au sein de leurs armées. Dans les années 1970 et 1980, la Norvège et la Suède ont ouvert tous les programmes de formation militaire aux femmes, une initiative suivie par la Finlande dans les années 1990.

Ces réformes, bien que souvent perçues comme des manifestations de l’engagement nordique envers l’égalité des sexes, étaient aussi des réponses pragmatiques à des besoins spécifiques, notamment la pénurie de main-d’œuvre masculine et une implication déjà existante des femmes dans des fonctions auxiliaires, comme l’ont noté Ahlbäck, Sundevall et Hjertquist pour la Scandinavian Economic History Review.

A la fin de la Guerre Froide, la plupart des pays européens ont cessé de maintenir la conscription obligatoire. La Norvège a marqué un tournant en devenant le premier pays de l’OTAN à instaurer une conscription inclusive en 2015.

En Europe, la Suède s’est distinguée particulièrement pour son engagement en faveur de l’égalité des sexes, étant la deuxième nation, après sa voisine la Norvège, à introduire la conscription sans distinction de genre en 2017. La Suède est devenue le premier pays au monde où tous les postes du service militaire étaient ouverts aux femmes en 1989.

Le Danemark, qui a récemment adopté une politique similaire , entend inclure les femmes dans l’appel à la conscription dès 2024. Cette décision est motivée non seulement par des défis en matière de personnel, mais aussi par un engagement en faveur de l’égalité des sexes et de la mobilisation nationale.

Une participation inégale en Europe : les bons et les mauvais élèves

En 2021, la participation féminine moyenne dans les forces armées des pays de l’OTAN était de 13,9 %, comme l’ont relevé Besch et Westgaard pour Carnegie. Actuellement, au sein de l’Union Européenne, la participation féminine dans les forces armées est encore plus basse, avec une moyenne de 10 % selon Terhi Lehtinen pour EU Defence Declassified, qui souligne que de manière réaliste, il ne serait pas possible d’atteindre l’idéal de 40 ou 50% dans un avenir proche.

La présence des femmes au sein des forces armées varie considérablement d’un pays à l’autre. Les nations les plus avancées en la matière se distinguent par des taux de participation féminine nettement supérieurs à la moyenne. En tête de ce classement, la Suède et la Hongrie se démarquent avec une proportion de femmes dans leurs forces armées atteignant 20 %, suivies de près par la Finlande à 19 % et la Bulgarie à 17 %.

À l’opposé, certains pays européens sont loin d’atteindre de tels niveaux de participation. L’Italie et la Pologne, avec seulement 6 % et 7% respectivement et l’Autriche, où ce chiffre descend à 4 %, se classent parmi les mauvais élèves de ce domaine.

Barrières et défis persistants

Malgré ces progrès, de nombreux obstacles continuent de freiner l’augmentation de la participation féminine dans l’armée. Des stéréotypes culturels et historiques subsistent, suggérant que l’armée n’est pas un environnement pour les femmes. À cela s’ajoutent des contraintes pratiques, comme des infrastructures et des équipements non adaptés, mais aussi des barrières personnelles, les femmes se montrant parfois moins enclines à s’engager dans le service militaire. Ces éléments, combinés, freinent l’augmentation du nombre de femmes dans les rangs et dissuadent de nouvelles recrues potentielles.

En outre, les inégalités de traitement, allant de la discrimination au harcèlement sexuel, demeurent un problème significatif dans de nombreuses armées, selon Besch et Westgaard. Cette réalité contribue à limiter l’engagement des femmes et à restreindre leur progression au sein de la hiérarchie militaire.

Terhi Lehtinen et Carolin Hendrys, pour EU Defence Declassified, soulignent l’importance de créer un environnement de travail plus inclusif et équilibré pour les femmes dans l’armée. Lehtinen insiste sur la nécessité de garantir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ainsi qu’un environnement de travail propice à l’inclusion. Certaines fonctions et carrières, en particulier celles nécessitant des déplacements fréquents ou des formations régulières, demeurent moins attrayantes pour les femmes qui souhaitent fonder une famille.

En ce qui concerne la répartition des femmes au sein des différentes branches militaires, Lehtinen observe qu’elles sont principalement concentrées dans les secteurs médicaux, techniques, logistiques et de soutien au combat. Callum Watson, de l’OSCE, corrobore cette analyse en soulignant que les femmes sont surreprésentées dans les emplois liés à la médecine, à la logistique, à la communication et à l’administration, tandis qu’elles restent sous-représentées dans d’autres domaines plus combatifs ou techniques. Cette répartition inégale au sein des différentes branches militaires reflète encore les défis auxquels les femmes doivent faire face pour accéder à l’ensemble des rôles disponibles dans l’armée, et souligne la nécessité de poursuivre les efforts pour atteindre une meilleure représentativité des armées.

Motifs d’engagement et perspectives d’avenir

Les raisons qui poussent les femmes à s’engager dans l’armée diffèrent souvent de celles des hommes. Selon Binková et Štěpánková, dans une étude pour la Conférence internationale sur la recherche sur le genre, les femmes sont principalement attirées par la stabilité financière, la formation professionnelle et les relations interpersonnelles. Toutefois, elles sont plus réticentes face aux risques inhérents à la profession à la perspective d’être envoyées en mission, des éléments qui les découragent davantage que leurs homologues masculins.

Malgré ces défis, il est essentiel de renforcer la présence féminine dans les forces armées. L’amiral Sir Keith Blount et le lieutenant-colonel Sheri Lattemore de l’OTAN insistent sur le fait que les qualités de leadership, telles que la force, l’esprit de décision et l’assurance, typiquement associées à la masculinité, ne sont pas exclusives à un sexe. Une diversité accrue dans les forces armées pourrait ainsi apporter une richesse de compétences et de perspectives, bénéfique pour l’ensemble des opérations militaires.

Conclusion

L’armée, autrefois bastion masculin, évolue lentement vers une institution plus inclusive, où la place des femmes est de plus en plus reconnue. Malgré une évolution récente dans les démocraties occidentales, où l’intégration des femmes dans l’armée s’est accélérée, celles-ci restent minoritaires et se heurtent encore à des restrictions concernant les rôles qu’elles peuvent occuper et les possibilités de progression de carrière. Pour une meilleure représentation des femmes l au sein des forces armées, il est impératif de surmonter les obstacles culturels et structurels qui persistent, tout en continuant à promouvoir des politiques inclusives. Ces efforts reflètent non seulement des changements au sein des armées, mais aussi une transformation plus large de la société en faveur de l’égalité des genres.

SOURCES

EU DEFENCE DECLASSIFIED, PROCEEDINGS OF THE 6TH INTERNATIONAL CONFERENCE ON GENDER RESEARCH, SOCIOLOGIJA I PROSTOR, NATO, SCANDINAVIAN ECONOMIC HISTORY REVIEW, SJMS, OSCE

RGPD*