Cacophonie diplomatique à l’Union européenne

Cacophonie diplomatique à l’Union européenne

Le samedi 7 octobre, le groupe terroriste du Hamas a déclenché une attaque contre Israël en provenance de la bande de Gaza. Cette attaque, la plus meurtrière du conflit israélo-palestinien, a engendré une vague de solidarité et d’émotion à travers le continent européen.

L’UE doit réagir rapidement en formulant une position officielle commune. Mais la géopolitique du Proche-Orient est un sujet épineux et les dissonances se font rapidement entendre à la tête des institutions, suscitant des interrogations quant à la cohérence de la politique étrangère européenne dans la région.

Acte I, Le cavalier seul

Le soir-même de l’attaque, la Commission européenne choisit d’afficher le drapeau d’Israël en témoignage de sa solidarité. Ursula von der Leyen, qui dirige l’institution, réitère son soutien aux israéliens à plusieurs reprises tandis que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou promet d’éradiquer le Hamas.

Comme lui reprocheront plus tard plusieurs États membres, la présidente n’évoque pas l’obligation d’Israël de respecter le droit international humanitaire, qui implique de prendre des précautions pour protéger les civils et préserver l’accès de l’aide humanitaire.

Un discours qui déconcerte, alors que le sujet des droits d’Israël et de la Palestine – d’où émerge le Hamas – est extrêmement sensible au sein de l’Union, et les positions des 27 Etats membres fortement divisées.

 La surprise est encore plus forte lorsque, le lundi 9 octobre, soit deux jours après le début des violences, le commissaire au Voisinage Oliver Varheyli annonce à travers un tweet, « suspendre toute aide » à la Palestine, sans consultation préalable avec les États membres.

Plusieurs pays, dont l’Irlande et le Luxembourg, grands supporters de la cause palestinienne, s’indignent dans la presse et sur X. De fait, les traités attribuent la politique étrangère de l’UE au Conseil, soit la somme des 27 Etats membres, et non à la Commission européenne.

Acte II, Le camouflet

L’exécutif européen ne tarde pas à corriger l’annonce d’Oliver Varheyli par voie de commiqué de presse. Si la question de l’aide au développement investie dans les infrastructures reste en suspens en raison des doutes sur son éventuel détournement par le Hamas, l’aide humanitaire, qui couvre les besoins essentiels (eau, alimentation) et dont l’Union est le premier donateur, est préservée.

Mais le mal est fait. Au Proche-Orient, le siège de Gaza par les Israélien a commencé, présageant une catastrophe humanitaire d’envergure. 2.3 millions d’habitants n’ont plus accès à l’eau, à la nourriture et à l’électricité.

Ce rappel à l’ordre est vu comme nécessaire. « On lui reproche d’outrepasser ses fonctions en prenant des initiatives, parfois malheureuses comme dans le dossier israélo-palestinien, en matière de politique étrangère, » le Monde rapporte.

La position européenne officielle est définie dès le lendemain, et celle-ci à des airs de camouflet pour Ursula von der Leyen. « Israël a le droit de se défendre, mais il doit le faire dans le respect du droit international, du droit humanitaire, et certaines décisions sont contraires au droit international, » prévient le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell le mardi (10 Octobre) en référence au siège de Gaza.

Acte III, La récidive

On aurait pu croire le dossier clôt. Mais la présidente de la commission européenne renouvelle sa position en se rendant en Israël.  Un voyage éclair qui n’est pas mandaté par les 27, et où elle ne reprend pas le vocabulaire des ministres, mais le sien, utilisé une semaine plus tôt.

« Je sais que la réaction d’Israël montrera qu’il s’agit d’une démocratie », déclare-t-elle le vendredi 13 octobre, aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

La réaction d’Ursula von der Leyen est de plus en plus critiquée, « un fonctionnaire l’accusant d’avoir donné un « chèque en blanc à Israël » et d’autres l’accusant d’avoir outrepassé ses pouvoirs », le Irish Times ajoute.

Le Conseil européen s’exprime à nouveau, et ce sera cette fois sous le chef de son président Charles Michel. Il convoque un sommet européen extraordinaire en visioconférence au cours duquel les chefs d’Etats formule, enfin, une position unie. Un discours martelé depuis lors.

Acte IV, L'embarrassant rattrapage

Suite à la recontre des chefs des 27 Etats membres, Charles Michel souligne que la position européenne doit rester prudente. « C’est un conflit qui génère beaucoup de fragmentation, de divisions, de polarisation au sein de nos populations, de nos sociétés », dit-il.

« C’est pourquoi nous devons également coopérer au niveau de l’Union européenne pour tenter de désamorcer les tensions », a-t-il ajouté, telle une pique envers la locatrice du Berlaymont.

A la Commission, quelques 850 fonctionnaires adressent à leur présidente une lettre de plainte, l’accusant d’un « soutien inconditionnel » pour Israël. Ils expriment leur inquiétude face à « l’apparente indifférence manifestée ces derniers jours par notre institution face au massacre continu de civils dans la bande de Gaza, au mépris des droits de l’homme et du droit international humanitaire ».

La réputation des Européens au Moyen-Orient, voire hors de leurs frontières a été impactée par l’incohérence des messages, rapporte un haut fonctionnaire européen anonyme au Financial Times.

« Je veux dire, soyons francs. C’est un cadeau du ciel pour la Russie. […] La Russie exploite la crise et dit: « Regardez, l’ordre mondial qui a été construit après la Seconde Guerre mondiale ne fonctionne pas pour vous », et s’adresse à un milliard d’habitants au Moyen-Orient ou dans le monde arabe ».

Dans le fond, « l’Europe doit tenir sa position », un ministre européen a dit au Financial Times, ajoutant: « Nous étions un peu désordonnés au départ, mais je pense que nous sommes mieux coordonnés aujourd’hui pour défendre les droits fondamentaux et nous assurer que nous voyons les deux côtés ».

Acte V, Scène de fin ?

Les dirigeants des États membres réunis à Bruxelles fin octobre ont appelé à la mise en place de « couloirs et de pauses humanitaires » pour permettre à l’aide humanitaire d’accéder à la bande de Gaza, après une semaine d’intenses divisions sur l’opportunité d’appeler à un cessez-le-feu.

Certains pays comme l’Allemagne, l’Autriche et la République tchèque étaient réticents à appeler à un cessez-le-feu ou à une trêve dans les combats car ils y voyaient une contradiction avec le droit d’Israël à se défendre.

La division entre les 27 demeure et est devenue évidente pour le monde entier lors du vote de l’Assemblée générale des Nations Unies sur une résolution appelant à un cessez-le-feu humanitaire, vendredi 17 octobre.

RGPD*