Guerre de l’information : l’UE peine à contrer la propagande russe en Afrique

Guerre de l’information : l’UE peine à contrer la propagande russe en Afrique

Une action européenne discréditée

La volonté de la Fédération de Russie d’étendre sa présence en Afrique est palpable depuis une décennie mais s’est accélérée à partir de 2019 avec l’organisation du premier sommet Russie – Afrique, organisé à Solchi, avec la plus grande délégation de dirigeants africains jamais réunis.

Vladimir Poutine fait de l’absence de passé colonial un élément central de l’engagement russe sur le continent, se distinguant des anciennes colonies qui « menacent les pays souverains africains ». Les objectifs sont variés, mais il s’agit ouvertement de « renverser les positions des pays européens en Afrique, à savoir la France, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne » analyse le chercheur Sergey Sukhantin en 2020. Tout en embellissant drastiquement le soutien russe, parlant de dons lorsqu’il s’agit de prêts ou encore se présentant comme le principale soutien dans la lutte contre ébola ou la Covid-19 alors que l’Union européenne est le principal donateur dans ces domaines. 

Selon l’Africa Center for Strategic Studies, les campagnes de désinformations russes sont présentes sur la quasi-totalité du continent.

 

 

Les actions sécuritaires en ligne de mire

S’il est un domaine où la Russie insiste particulièrement, c’est le militaire. Dès 2015, un document interne du ministère allemand de la défense pointait la multiplication d’accords militaires entre la Russie et les Etats africains. Depuis, la Russie a accéléré ses livraisons d’armements et le déploiement de formateurs (notamment via le groupe paramilitaire Wagner), profitant de chaque espace libre laissé par les Occidentaux.

En amont de cette implantation d’abord, puis de manière plus intensive à mesure que la présence russe se renforce, la propagande russe a pris pour cible les missions militaires de paix et de sécurisation menées par l’ONU et l’Union européenne, notamment au Mali et en République centrafricaine, comme le détaille le centre de communication stratégique de l’OTAN.

Dans sa communication, la Russie présente ces missions comme inefficaces, comme étant des interférences dans les politiques nationales, ou encore comme responsables d’attaques contre des civils. De quoi nourrir et exacerber le rejet de ces forces. Au contraire, elle fait l’éloge des mercenaires de Wagner

 

La France comme principale cible

La France, au Mali et en République centrafricaine, est particulièrement visée par la propagande russe. Les experts parlent de campagnes d’influence orchestrées depuis plusieurs années par la « russosphère » ou «galaxie Prigojine », du nom du patron du groupe paramilitaire Wagner.

Le président français dénonce un « projet de prédation ». « Il suffit d’aller voir ce qu’il se passe en ce moment en Centrafrique ou ailleurs pour voir très clairement le projet russe qui y est à l’oeuvre quand la France est bousculée », ajoute Emmanuel Macron. « La désinformation russe a été un facteur contribuant à chasser les forces françaises des pays du Sahel », analyse plus ouvertement Ulf Laessing, de la Fondation Konrad Adenauer. 

Dernier exemple répertorié : un clip diffusé depuis ce 14 janvier dans lequel les militaires de l’armée française sont représentés par des squelettes décharnés, suivis d’un serpent tricolore en position de conquête. Les membres de la milice russe Wagner apparaissent ensuite en sauveurs des soldats maliens, burkinabés ou ivoiriens. Le graphisme est simple, le message caricatural, mais il fonctionne.

Le collectif d’enquête All Eyes on Wagner pointe le « timing » de la publication, apparue en ligne pendant la « Journée de souveraineté retrouvée » au Mali, date fériée instaurée récemment par la junte parvenue au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat.

La timide réaction européenne… 

Ce phénomène, encourageant le sentiment anti-européen et menant à la déstabilisation politique des pays africains, inquiète les Vingt-sept dans leur ensemble. Mais les Européens peinent à trouver la parade. Ils ont, pour l’instant, sanctionné plusieurs responsables du groupe Wagner pour leur action dans la région. Les missions EUTM Mali et EUTM RCA ont mis fin à la formation des soldats maliens et centrafricains. 

Du côté de la communication, les Européens ont compris la nécessité d’agir, de contrer activement la propagande russe. Mais ils le font avec du retard. Plusieurs pistes sont étudiées, notamment au travers du service interne du service diplomatique européen et sa cellule EU VS Desinfo. Le gros de l’effort se centre sur les campagnes en Europe, comme le montre le rapport publié le 7 février.

Sur le terrain, les diplomates de l’UE et des Etats membres tentent d’être plus audibles et l’accent est mis sur des projets de soutien aux chaînes de radio, notamment au Sahel. Mais cela reste bien timide pour l’instant et tous le savent. En novembre 2022, le sujet était au cœur d’une réunion organisée par la République tchèque, pointant l’urgence d’agir contre la « machine de désinformation russe qui tente de nuire à l’image de l’UE ». Sans qu’un plan d’action ne soit adopté.

… face à un phénomène en pleine expansion

Il est pourtant plus urgent que jamais pour les Européens de trouver une manière de contrer les campagnes de communication russes, puisque ce phénomène ne fait que s’amplifier. Avec l’agression russe contre l’Ukraine, le Kremlin a mis les bouchées doubles pour rallier l’opinion africaine à sa cause. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov est lui-même en tournée diplomatique sur le continent, du Caire à Bamako, en passant par Pretoria. C’est la troisième tournée du genre en six mois. 

Désormais interdite de diffusion en Europe, la chaîne Russia Today pourrait se redéployer en Afrique pour chercher de nouveaux alliés, trouver des relais pour promouvoir sa vision du monde et défendre sa politique étrangère.

Après le Mali et la Centrafrique, c’est désormais le Burkina Faso que les troupes françaises vont quitter. Le Niger et le Tchad sont également dans le viseur. Si d’autres éléments sont à prendre en compte pour les expliquer (comme les attaques djihadistes ou les coups d’Etat), le rapprochement des gouvernements locaux avec Moscou et les manifestations contre la France sont déterminantes dans les décisions de Paris.  

 

RGPD*