L’Europe est à un moment clé de sa politique de défense, sous l’effet d’une incertitude géopolitique croissante, de l’évolution des relations transatlantiques et de la nécessité pressante d’une adaptation militaire et industrielle. Face à un possible désengagement des États-Unis, à un examen accru des dépenses de défense et à l’accélération des réformes institutionnelles, les décideurs doivent réévaluer l’autonomie stratégique de l’Europe.
RESEARCH CORNER MARS 2025

Notre Research Corner, dans notre newsletter sur la politique de défense européenne Sierra Echo, analyse ces évolutions critiques. Cet article va au-delà des gros titres, en décryptant les principales conclusions des analyses et publications d’experts, ainsi que des rapports institutionnels des dernières semaines. Il explore les conséquences potentielles d’un retrait américain, les défis liés à l’investissement dans la défense européenne et les réformes nécessaires pour renforcer la gouvernance de la défense de l’UE. Restez informés grâce à des analyses essentielles pour la sécurité et l’autonomie stratégique de l’Europe.
L’ABANDON DE L’EUROPE PAR LES ÉTATS-UNIS
Avec la perspective d’un désengagement américain en Europe qui se profile, les analystes se penchent sur les conséquences potentielles et les impératifs stratégiques pour la défense européenne. Ils soulignent la nécessité d’investissements importants dans les capacités militaires, de changements de politique et d’adaptations institutionnelles pour assurer l’autonomie sécuritaire de l’Europe.
Dans « Defending Europe without the US: first estimates of what is needed », publié le 21 février par Bruegel, Alexandr Burilkov et Guntram B. Wolff réalisent une première évaluation des besoins militaires de l’Europe en cas de retrait total des États-Unis. L’Europe aurait besoin de 300 000 soldats supplémentaires, 1 400 chars, 2 000 véhicules de combat d’infanterie et 700 pièces d’artillerie, avec une augmentation des dépenses de défense de 250 milliards d’euros par an. Malgré l’ampleur de ces investissements, les auteurs affirment que l’Europe dispose des ressources économiques nécessaires pour compenser ce soutien militaire américain.
Dans son analyse « The Trump card: What could US abandonment of Europe look like? », publiée le 17 février par European Union Institute for Security Studies (EUISS), Giuseppe Spatafora analyse les scénarios possibles d’un retrait américain. Il identifie deux trajectoires principales : un éloignement progressif au profit d’autres théâtres mondiaux ou une coopération bilatérale fragmentée avec certains pays européens. Dans les deux cas, il appelle l’UE à développer une force de dissuasion robuste pour assurer son autonomie stratégique.
Daniel Fiott, dans « Unity is Not Enough: How will Europe Navigate the Trumpian Era of Geopolitical Competition? », un rapport publié le 23 février par le Centre for Security, Diplomacy and Strategy (CSDS), explore les options stratégiques de l’Europe face à une éventuelle deuxième présidence Trump. Il identifie plusieurs dilemmes, notamment le choix entre celui de maintenir un profil bas, de s’engager dans une diplomatie transactionnelle ou une avancée vers une autonomie stratégique renforcée. Fiott avertit que l’unité européenne seule ne suffira pas : l’Europe doit investir dans sa sécurité, son indépendance technologique et sa stratégie industrielle pour maintenir sa résilience géopolitique.
REPENSER LES DÉPENSES DE DÉFENSE EUROPÉENNES
Face aux menaces sécuritaires croissantes, l’Europe est sous pression pour accroître ses investissements dans la défense tout en maintenant son autonomie industrielle. Les analystes et les décideurs politiques explorent des moyens d’optimiser l’efficacité des dépenses, de renforcer l’industrie de défense européenne et d’équilibrer les financements entre les niveaux national et européen.
Dans « Europe Defence Lobbyist Talks Military Spending, Political Roadblocks », un épisode de Bloomberg Talks diffusé le 18 février, le secrétaire général de l’ASD, Jan Pie, souligne l’urgence d’augmenter les dépenses de défense. Il met en avant l’adaptabilité de l’industrie européenne, citant des entreprises comme Rheinmetall, SAAB et MBDA comme exemples de montée en puissance rapide en matière de production et d’investissement. Toutefois, il met en garde contre une dépendance excessive aux produits militaires américains et exhorte les dirigeants européens à privilégier les capacités de défense nationales pour garantir une autonomie stratégique durable.
Fabian Zuleeg et Philipp Lausberg, dans leur rapport du European Policy Centre (EPC)« Thinking outside the Multiannual Financial Framework: Financing Europe’s security priorities », publié le 14 février, plaident pour des mécanismes de financement innovants au-delà des budgets traditionnels de l’UE. Ils proposent la création d’un European Security Funding Facility (ESeFF), combinant des ressources de l’UE et de pays non membres (comme le Royaume-Uni et la Norvège) pour attirer des investissements privés et nationaux. Une telle approche, selon eux, permettrait de créer un modèle financier plus flexible et durable pour la défense européenne.
RÉFORMER LA GOUVERNANCE DE LA DÉFENSE EUROPÉENNE
Pour faire face aux menaces émergentes et aux défis industriels, l’Europe doit restructurer sa gouvernance de la défense. Les propositions vont des réformes institutionnelles aux changements stratégiques visant à consolider la production militaire, à rationaliser la prise de décision et à concilier sécurité et durabilité.
Samuel B. H. Faure, dans « EU Defence Industrial Policy: Towards a New European Military-Industrial Regime? », publié par LUISS le 23 janvier, plaide pour une transition d’une gouvernance intergouvernementale vers une industrie de défense européenne plus intégrée.
Il propose la création d’une onzième configuration formelle du Conseil de l’UE, où les ministres de la Défense adopteraient le vote à la majorité qualifiée, ainsi qu’un plan d’investissement de 100 milliards d’euros pour consolider la production de défense européenne et réduire les inefficacités. Sans ces réformes, prévient-il, l’Europe risque la fragmentation et une dépendance persistante aux puissances extérieures.
Dans un rapport d’avancement destiné au Conseil de l’UE sur la mise en œuvre de la communication conjointe « A New Outlook on the Climate and Security Nexus », publié le 18 février, la Commission européenne détaille les principales mesures visant à intégrer la résilience climatique dans la politique de défense de l’UE.
Plusieurs initiatives ont été lancées, notamment le paquet « Sécurité climatique » de la PSDC, qui introduit des conseillers environnementaux et des évaluations de la durabilité dans les missions de l’UE. En outre, le forum de consultation sur l’énergie durable dans le secteur de la défense et de la sécurité a évalué les implications de la transition énergétique « Fit-for-55 » de l’UE pour la défense, en promouvant l’efficacité énergétique et la résilience des infrastructures militaires.
La mise en place d’un mécanisme de soutien en matière de climat et de défense (CDSM) et d’un centre de compétences sur le climat, la sécurité et la défense, dirigé par l’UE, témoigne de l’ambition de l’UE d’intégrer la résilience climatique dans la planification de la sécurité. Les opérations de défense étant confrontées à des contraintes environnementales croissantes, l’UE cherche à concilier les impératifs de sécurité et ses objectifs en matière de « Green Deal », en veillant à ce que ses capacités militaires restent à la fois efficaces et durables.